Biographie
COMMUNIQUE
DE PRESSE SACEM JUIN 2000
Prix René-Jeanne : Yvan DAUTIN
A la
sempiternelle question : « Existe-t-il des talents méconnus ? »
, ou du moins sous-estimés, on serait tenté de répondre ici : « Oui, Yvan
Dautin ! », comme on disait naguère de Boby Lapointe, Boris Vian ou
aujourd'hui Pierre Louki. Pour ne citer que quelques excentriques de la plume,
cinglés du music-hall et autres subtils poètes en marge(s) que n'eût pas reniés
le grand collège de pataphysique à l'âge d'or. Des ironistes du sort, aquabonnistes
d'après minuit et joueurs de mots devant l'éternel (qu'on l'appelle Serge,
Charles ou Georges) toujours prêts à s'excuser d'être nés trop sensibles, et
rêvant leur vie en couplets refrains qui enchantent leurs tiroirs en attendant
l'heure.
SI
l'on s'en réfère aux deux « B », Boris et Boby, c'est dire si l'on
peut prédire aux autres précités une belle postérité, peuplée d'hommages,
anthologies et redécouvertes. Reste qu'il faut vivre et écrire au présent, et
que la vie d'artiste, comme eût dit Léo, autre maître ès vache enragée dans sa
jeunesse, n'est pas toujours une vie. Alors, répétons-le d'emblée, notre oiseau
rare a beaucoup de talent, et même de talents, puisqu'il est à la fois auteur,
compositeur, interprète, comédien et, signe distinctif des grands, autant poète
dans la vie qu'humain en scène, transformant en dérision tendre tout ce qu'il
touche de sa plume, concoctant en toute discrétion des perles rares et
précieuses qui ne le resteront pas toujours, puisque heureusement beaucoup savent
que cet Yvan-là est à sa façon aussi terrible - enfant terrible s'entend - que
son ancêtre de l'Oural.
Mais
notre Yvan à nous est un Vendéen pur jus, lui, né à Saint-Jean-de-Monts, et
futur étudiant à Nantes, où il obtient son bac au lycée Clemenceau. Un lycéen
rêveur, d'ailleurs, qui tout gamin est déjà fasciné par le cirque et qui,
attiré plus tard par le théâtre, se présente au conservatoire de Nantes où il
est admis auditeur libre. Tout naturellement, il joue alors en amateur avec le
Théâtre de l'Équipe animé par Christian Héliou et sa femme, passant de Brecht (Les
Fusils de la mère Carrare) et Arrabal (Pique-nique en campagne) à
Molière (Clitandre dans George Dandin), monte des spectacles sur Vian et
Prévert – autres fameux iconoclastes – dans les bistrots, et surtout...
« monte à Paris », comme on dit alors. A Paris, en 1967, il
« court le cacheton » en s'accompagnant à la guitare… Et ce qui
devait arriver arriva : en octobre 1968, il enregistre chez Pathé-Marconi, sous
la direction de l'orchestrateur Hubert Rostaing (collaborateur de Serge
Reggiani, Maxime Le Forestier, Philippe Sarde...), son premier disque, un
super-45-tours d'interprète avec quatre chansons d'un autre méconnu, Paul
Villaz, et, dès 1969, un deuxième avec ses propres œuvres, dont La Comptine
du cétacé, qui préfigure certaine Méduse. La même année, tout en
faisant son service militaire, il participe aux légendaires Relais de la
chanson française, concours organisé par le journal L'Humanité. Et
remporte la palme avec sa Méduse (« de la plage de
Saint-Malo »...). La machine est lancée : en juillet 1971, il chante à
la mythique Galerie 55, accompagné par deux « pointures », François
Rabbath et Michel Devy. Un enregistrement public est publié en octobre (Je
n'suis pas sorti d'la cuisse à Jupiter) , et Yvan commence à faire son trou
(dans le sable, évidemment, avec ses méduses et ses portugaises) avec cette
chanson gag écrite dans la filiation du grand Boby, disparu symboliquement à
cette époque. On le voit ainsi passer de l'Écluse, immortalisée par certaine
dame brune (et dont il fait d'ailleurs la fermeture), à l'Olympia dont il
présente les spectacles et où il assurera la première partie de son camarade
Julien Clerc.
En
pleine période post-pop, pré-disco et pré-punk, commencent les « années
Dautin », mi-figue, mi-raison, qui font souffler un bel air de folie douce
sur les scènes françaises : faut-il grincer, faut-il en rire.
Quoi qu’il en soit, tel qu'il est, il plaît, et ce n'est pas
tout à fait un hasard s'il collabore alors avec le producteur de Dick Annegarn,
Maxime Le Forestier, Serge Reggiani : Jacques Bedos. Ensemble, ils enregistrent
dans les années 75 deux albums chez AZ, contenant de petites merveilles : La
Mal Mariée, La Portugaise (musique de Julien Clerc), Kate, La Fille d'en
bas, L'école est fermée, Son bas fila, Si tu reviens dans ma cuisine... Et,
en toute logique, à l'occasion de son troisième disque, il fera une tournée
avec Maxime Le Forestier (qui l'aidera beaucoup et jouera avec lui) et une
autre de quelque... 150 dates avec Julien, avant de passer chez RCA avec le
trente-centimètres Quand j'étais dromadaire, sous la houlette du grand
Bob Socquet.
C'est le
temps des « petits lieux », où il évolue brillamment entre
cafés-théâtres et cabarets : Pizza du Marais (1975), Café de la Gare, puis
re-tournées MJC (1976), Théâtre de Boulogne-Billancourt (dont il publie un
enregistrement public devenu un « collector », avec Bernard Lubat,
Beb Guérin et Paul Castanier), Théâtre de la Ville, accompagnant la parution de
son troisième album RCA, Les Mains dans les poches sous les yeux (1977),
Gaîté-Montparnasse en 1979. Quel producteur un tantinet curieux et inspiré
rééditera d'urgence ces documents aussi précieux qu'introuvables ? !
En 1979, il
publie le 45-tours Est-ce que c’est salsa ?, une des premières salsas
enregistrées en France, accompagné par Henri Guedon. Puis en 1981 il renoue
avec AZ, le temps de deux albums avec le compositeur-arrangeur Alain Le
Douarin, Monsieur Monsieur et Le Jardinier, et, surtout conçu
avec Jean-Claude Petit et Bernard Lubat, le LP Boulevard des Batignolles (où
il habite alors), chanson écrite avec Etienne Roda-Gil, qui connaît un certain
succès en 1982, et qui sera suivi d'un spectacle au Théâtre La Bruyère en
décembre 1983.
Car notre
homme est d'abord homme de scène, pour ne pas dire de scènes, comédien-chanteur
et réciproquement qui, conscient (et parfois victime) de l'évolution du
« métier » en ces années du son et du marketing qu'on appellera fort
éloquemment les « eighties », ne met pas tous ses œufs dans le même
panier. Dès 1981, il va jouer, parallèlement à son cinquième album, le rôle du
légendaire Thénardier dans Les Misérables, de Claude-Michel Schönberg et
Alain Boublil, au Palais des Sports. Puis il va composer et interpréter pour
les enfants L'Île au trésor, mis en scène par Michel Valmer d’après
Stevenson, à Paris comme en province (Lille, Lyon...), collaborer à un
spectacle musical sur la résistance avec Martine Sarri. Toujours soucieux de
varier les plaisirs, et d'élargir par là même sa palette professionnelle, il
écrit alors un scénario avec Didier Daenincks, La Rançon de la gloire, réalisé
pour FR3 par Patrick Saglio, enchaîne en 1989 avec « Bienvenue au
paradis », une série d'émissions de Claude Villers sur France Inter, où
lui et Luis Rego font des merveilles d'humour délirant. Disques, films et
pièces se succèdent désormais à un rythme régulier, sans se bousculer pour
autant : Bouvard et Pécuchet, réalisé pour la télévision par Jean-Daniel
Verhaegue, avec Jean Carmet et Jean-Pierre Marielle (1989), L'Amour chagrin,
45-tours en 1990, album Le Cœur cerise en 1993 (produit par
Jean-Philippe Olivi), suivi d'un spectacle au Théâtre de la Tour de Nesles...
Comédien à nouveau dans Comment va le monde môssieu ? Il tourne môssieu !
de François Billetdoux, mis en scène par Jean-Pierre Miquel, qui n'était pas
encore administrateur de la Comédie-Française (1994), puis dans Arsenic et
vieilles dentelles à La Madeleine, mise en scène de Jacques Rosny (1995).
Sans oublier deux compilations réenregistrements de ses plus belles chansons, Le
Cœur cerise, déjà cité, et Ses plus grands succès, avec la
collaboration d’Angelo Zurzolo (on notera la richesse de son chemin musical :
François Rabbath, Patrice Caratini, Jean Musy, Bernard Lubat, Alain Le Douarin,
Jean-Claude Petit, etc.). On y retrouve des merveilles comme Qu’elle est
jolie la fille d’en bas, Kate, Va-t’en je t’oublierai, Marie-Charlotte, Léa,
dont – on ne le répétera jamais assez – on espère bien sûr une édition
intégrale des originaux.
En 1996, il
écrit avec André Gaultier un spectacle pour enfants – encore une corde à son
arc –, Léo Godasse, et une pièce de théâtre, Vas-y papa, qu'il ne
désespère pas de voir monter un jour, ainsi que de nombreuses pièces en un acte
pour Radio Bleue, notamment. Enfin, en 1999, il interprète à la
Comédie-Française et au Théâtre du Vieux-Colombier L'Incorruptible, de
Hugo von Hofmannsthal, mis en scène par Philippe Adrien.
Aujourd'hui,
l'acide Yvan, enfant terrible de la chanson française qui charme ou dérange
mais ne laisse jamais indifférent, achève l'écriture d'un album prometteur (Je
ne vois qu’elle, D'amour et d’eau fraîche, Suzette...) qui n'attend plus
qu'un producteur pour nous enchanter à nouveau, avec ses chansons de
contrebande, comme ces pétards qu'on allume parfois pour détendre l'atmosphère
sur le chemin des gens trop sérieux. Car il y a du fluide glacial, c'est-à-dire
un éternel sourire d'enfance, chez cet artiste ô combien atypique. Avis aux
amateurs... Et aux professionnels ! Cet homme-là a encore des choses superbes à
nous dire, nous écrire, si ça vous chante.